Un vrai pionnier du spectacle virtuel

Le 12 mars 2020, le jeune entrepreneur Karl-Emmanuel Picard présentait à l’Anti, sa salle de spectacle de Québec, la première date de la tournée du musicien Gab Bouchard.

« Déjà là, on ne savait pas si on pouvait se serrer la main, on se demandait si on faisait le show ou pas, vu qu’il venait d’y avoir une conférence de presse, raconte-t-il. Avoir su que c’était mon dernier spectacle de cette époque, j’aurais fait un bar ouvert pour tout le monde! J’étais pris avec beaucoup d’alcool après! »

Le 14 mars, il ne l’oubliera pas, puisqu’il s’est fait tatouer sur le bras le moment le plus marquant de cette journée. « C’est une photo que j’avais prise ce jour-là, explique-t-il. J’ai mon fils sur ma tête, j’ai le téléphone dans une main et je gère des trucs sur l’ordinateur de l’autre. J’étais en mode “gestion de crise”, je me disais qu’il fallait changer le négatif en positif. J’avais pas d’argent, genre vraiment pas d’argent, et je devais de l’argent à plein de monde! »

Le confinement a été brutal, mais rapidement, tout le monde a commencé à s’ennuyer.

L’idée des spectacles virtuels nous semblait encore farfelue. Mais si cela n’avait dépendu que de lui, Karl et son équipe auraient été prêts dès le lendemain.

« C’était déjà quelque chose qu’on faisait de temps en temps, explique-t-il. Quand il y avait des artistes qu’on bookait à l’Anti et qu’on était impressionnés d’avoir, on leur proposait de rediffuser en direct leur spectacle sur leur page Facebook. On l’a fait une quinzaine de fois, donc on était prêts. Fallait juste qu’on trouve comment monétiser ça. »

Avec son partenaire et réalisateur Soufiane Benrqiq, ils ont l’idée de s’associer avec la compagnie québécoise Le Point de Vente. Comme pour un spectacle régulier, le public achète son billet en ligne, et à une heure donnée, se rend sur le lien pour visionner en direct le spectacle que l’artiste donne à l’Anti.

Leur premier concert virtuel a été diffusé le 9 mai 2020. « C’était dans le but d’aider à générer des revenus pour l’Anti, résume Karl-Emmanuel Picard. À mon premier show, j’ai vendu 900 billets! »

À ce jour, 156 concerts virtuels ont été diffusés, et des dizaines de milliers de billets ont trouvé preneurs partout dans le monde!

« On a dû faire des investissements ambitieux pour adapter l’Anti, comme enlever le bar pour faire plus d’espace pour le show d’Emma Beko. Après, pour la chaîne YouTube du Carnaval de Québec, on a détruit les toilettes pour les transformer en régie pour les caméras. Il fallait avoir la vision que la pandémie allait durer longtemps, pour faire ça », concède-t-il.

Car si la plupart d’entre nous étaient optimistes quant au fait que les concerts en présentiel reviendraient vite, Karl-Emmanuel Picard était de son côté un peu moins convaincu.

« Mais à moment donné, tout se plaçait. On a joué avec Sara Dufour [ndlr une artiste que Karl-Emmanuel Picard gère] au Centre Bell avec les Cowboys Fringants devant 12 000 personnes. Donc je me disais que c’était un peu derrière nous. J’ai eu cette impression-là pendant une ou deux semaines, avant que tout chie à nouveau! »

Si plusieurs artistes et acteurs du milieu remercient Karl-Emmanuel pour son travail dans les 20 derniers mois, c’est plutôt lui qui les remercie, attribuant son succès aux bonnes relations qu’il entretient avec les gens de l’industrie. « Quand il y a eu la pandémie, vu que j’étais proche des artistes, j’ai pu réussir, parce qu’ils m’ont fait confiance », conclut-il.